L’attaque du plateau de Nesles


Il est 13 heures. Il fait peu de doute que devant l’arrivée des Français, le général Yorck voulait hâter la traversée de la Marne. Or, soit comme on l’a dit sous les insistances de Sacken, qui ne voulait pas abandonner butin et bagages, soit tout simplement parce qu’il était impossible de canaliser rapidement une telle masse d’hommes et de chevaux sur un seul pont, c’est la décision inverse qui est prise. Von Steinmetz (qui remplace von Pirch, blessé à Montmirail), von Horn et von Jürgass reçoivent l’ordre de défendre le plateau, de gagner du temps pour sauver hommes et bagages. Les troupes alliées prennent donc position derrière le ravin de la ferme de la Trinité, transformée en redoute. La cavalerie de Vasiltchikov se redéploie pour couvrir le flanc gauche près de la ferme de Petit Ballois. Quant à von Jürgass, il s’installe derrière l’infanterie, devant Nesles.

La ligne française a suivi pas à pas le mouvement des Prussiens, s’emparant de Petites Noües. Le général Guyot semble être demeuré en réserve auprès de cette infanterie. Quant au reste de la cavalerie, une forte colonne regroupant les cavaliers de Defrance, de Laferrière-Lévesque entreprend, sous les ordres du général Nansouty, un mouvement tournant sur la gauche prussienne.

Cette tentative de débordement par l’est menace la retraite des Russes et des Prussiens. Chez ces derniers, l’absence d’une unité de commandement entraîne des hésitations et un manque de coordination qui leur sera fatal. Le général von Jürgass en témoigne : « J’avais remarqué ce mouvement, dirigé de ce côté la cavalerie de la landwehr et fait faire pelotons à gauche à la brigade de dragons, lorsque je reçus l’ordre formel de rester en place, parce que notre gauche se trouvait suffisamment protégée par la cavalerie russe. L’ennemi tenait déjà les hauteurs en face de nous, écrasant de ses feux les troupes en retraite du général von Horn. Je venais de me mettre en mouvement pour retourner sur mon ancienne position, lorsque le major von Brandenbourg m’apporta l’ordre de me porter sans retard à l’aile gauche de plus en plus menacée par la cavalerie ennemie. »[1]

À première vue, les effectifs des deux cavaleries sont sensiblement les mêmes, soit un peu plus de 4000 chevaux de chaque côté. Or, la cavalerie russe ne semble pas s’être particulièrement distinguée dans la plaine de Nesles. En effet, elle se retire assez rapidement vers la Marne laissant à von Jürgass le soin de protéger le flanc gauche du dispositif allié. Avant même que ce dernier ait eu le temps de compléter son redéploiement, un combat de cavalerie s’engage entre Prussiens et Français. L’avant-garde de la cavalerie française que mène le colonel Curély, commandant le 10
e régiment de hussards, fonce violemment sur les dragons prussiens. Le régiment de hussards de Brandebourg contrechargea et permit de les dégager.

« Le régiment de hussards de Brandebourg [que commandait le von Sohr] vint donner contre le 10
e hussards, le rompit et le rejeta sur la deuxième ligne.(…) Le 1er régiment de dragons de la Prusse occidentale qui chargeait à droite de Sohr n’avait pas été aussi heureux et avait été bousculé par la cavalerie française. Sa retraite avait découvert la droite de Sohr qui dut se retirer. Plusieurs autres régiments furent également forcés de se replier. La cavalerie russe qui formait la deuxième ligne, au lieu de continuer sa marche en avant et de recueillir les escadrons prussiens, fit demi-tour et le tout se replia dans un assez grand désordre. » [2]

Cette infortune du colonel Curély sera de courte durée, car, appuyé par le gros de la cavalerie française qu’il précède, il pourra sans trop de mal rallier ses hussards et reprendre le combat. Son action pendant cette bataille lui mérita les étoiles de général de brigade.

« (…) le colonel Curély, commandant le 10
e régiment de hussards, gagna le grade de général de brigade, par deux brillantes charges qu’il exécuta, à la tête de son régiment, sur les Prussiens, et cela, sous les yeux de l’empereur. » [3]

Cette deuxième attaque de la cavalerie française précipite donc le repli des Prussiens qui accompagnent maintenant les Russes vers la Marne.




Le général Ludwig Yorck von Wartenburg


Notes

[1]
Rapport du général von Jürgass en date du 17 février, cité par Weil, II, p.200.
[2] Beitzke, Vie du général-lieutenant von Sohr, cité par Weil, II, p.202.
[3]
Parquin, p.344.