Blücher et Marmont

Pendant toute la journée du 11 février, contrairement à sa réputation de fonceur, le
Feldmarschall Blücher était demeuré immobile à Bergères. Au son du canon, il songea bien à passer sur le corps de Marmont pour secourir Sacken et Yorck, mais il semble en avoir été découragé par Müffling et Gneisenau. Rappelons que les corps de Kleist et Kapsewitch, qu’il avait rappelés la veille de Fère-Champenoise, le rejoignirent au matin, exténués par une marche de nuit. Sous le commandement du général Udom II, la réorganisation des débris du corps d’Olsufiev s’avérait aussi indispensable.

L’inaction de Blücher fit croire à l’Empereur qu’il se repliât sur Épernay ou Châlons[1]. Quant à Marmont, chargé après la bataille de Champaubert de masquer Vertus pour permettre la manoeuvre du gros de l’armée française sur Montmirail, il craignait par-dessus tout de se retrouver submergé par les forces plus nombreuses de Blücher. Le 12 février, il avait reçu l’ordre de pousser sur Épernay[2], mais des reconnaissances lui imposaient la prudence : la situation de son corps d’armée est précaire et l’incertitude sur les intentions des Prussiens demeure[3].

Peut-être est-ce la faiblesse en cavalerie du vieux hussard qui le fit hésiter? Ou plutôt que cette cavalerie comptait un seul régiment de cavalerie légère[4] insuffisant pour l’éclairer convenablement sur les effectifs du petit corps de Marmont[5]? Quoi qu’il en soit, le 12 février, les Prussiens lancèrent des reconnaissances sur les avant-postes français et finirent par confirmer le petit nombre des troupes leur faisant face. Le 13 février, le
Feldmarschall Vorwärts apprend les défaites de Sacken et Yorck et se convainc que Marmont a pour mission de masquer le mouvement de retour du gros de l’armée française vers la Seine. Croyant pouvoir tomber sur les arrières de Napoléon, il décide de marcher vers Champaubert[6].

Depuis le 10 février, Marmont avait eu le temps de reposer ses troupes, de s’installer solidement à Étoges tout en prenant les mesures nécessaires à un repli. Afin d’éviter toute mauvaise surprise, il avait porté sa gauche à plus de 5 km au nord d’Étoges. Sa droite reposant sur les marais de Saint Gond, il n’y avait rien à craindre de ce côté. De bon matin le 13 février, Blücher fit donc avancer du côté d’Étoges et sur la gauche du dispositif français une avant-garde commandée par le
Generalleutnant von Ziethen. Le propre fils du Feldmarshall, l’Oberst Blücher, marchait en tête avec le 1. schlesisches Husaren-Regiment et un bataillon de fusilier. Marmont résume la journée dans ses Mémoires :

« 
Blücher commença son mouvement et marcha sur Étoges. Quand toutes ses colonnes se furent montrées, quand il eut fait ses dispositions d’attaque et amené du canon contre ma gauche, je fis ma retraite en bon ordre, et facilement, parce que tout avait été prévu. Quoique l’avant-garde ennemie marchât à très petite distance de mon arrière-garde, il n’y eut que des engagements de troupes légères[7] ».



Le soir, les troupes russes et prussiennes occupèrent Champaubert, poussant des vedettes sur La Chappelle-sous-Orbais et en direction de Sézanne. Blücher et son état-major passèrent la nuit à Champaubert.


Marmont, appuyé sur les bois, prit position entre Fromentières et Janvilliers. Il put alors compter, mince renfort, sur les restes de la division Ricard, arrivée à Vauchamps pendant la journée. De Fromentières, il fit rapport au maréchal Berthier en concluant que :

« 
Si l’ennemi, comme cela serait possible, fait une marche de flanc sur Épernay, je l’observerai et je le suivrai. Si au contraire il a pris position en deçà d’Étoges avec toutes ses forces et annonce devoir continuer demain son mouvement sur Paris, j’irai prendre position de bonne heure à Montmirail afin d’être plus à portée des secours que sans doute Sa Majesté enverra pour me soutenir, et être plus près de la masse de ses forces[8] ». C’est cette dernière résolution que prit Blücher.



Le maréchal Marmont, duc de Raguse et le Feldmarschall Blücher


Notes

[1] Napoléon au prince de Neuchâtel et de Wagram, Ferme de l’Épine-au-Bois, 12 février 1814. Correspondance, №21232.

[2] Idem et aussi Napoléon au prince de Neuchâtel et de Wagram, Ferme de Lumeront, 13 février 1814. Correspondance, №21238.
[3] Marmont au major-général, Étoges 13 février, 4 heures du matin, cité dans Mathieu, p. 194-195.
[4] Il s’agit du
1. schlesisches Hussaren-Regiment et d’un escadron du 7. schlesische Landwehr-Kavallerie-Regiment.
[5] Müffling, p.440 nous dit que Blücher reçut deux régiments de cuirassiers en renfort le matin du 13 février. Plotho, III, p. 187, écrit que le colonel von Haak rejoignit Bergères ce matin-là avec le Brandenburgische Kurassier, le 8. schlesisch Landwehr-Kavallerie-Regiment et les 7e et 8e batteries à cheval.
L’ordre de bataille du 9 février pour le
2. Preussischen Corps Kleist, (Plotho, III, p. 174) mentionne 3 régiments de cavalerie :

.....Ostpreussisches Kürassier-Regiment..... ..... ..... .....4 escadrons.
.....1. schlesisches Husaren-Regiment..... ... ..... ..... .....4 escadrons.
.....7. schlesisches Landwehr-Kavallerie-Regiment..... 4 escadrons.

[6] Clausewitz, 1814, p.94.
[7] Marmont, VI, p.56.

[8] Marmont au major-général, Fromentières, 13 février 1814, 7 heures du soir, cité dans Mathieu, p.208-209.