Coups de main et escarmouches du 13 janvier 1814 : Châtenay-Vaudin, Griffonnotte et Chaudenay...

Bien que promu au grade de major le 3 janvier 1814, le baron Albert n’avait pas encore rejoint son nouveau commandement; il demeurait à la tête du 1er bataillon du 1er régiment de grenadiers à pied de la Garde. Chargé d’attaquer de nuit les avant-postes autrichiens, il rapporte l’expédition avec nombres détails. Tombant malencontreusement sur une patrouille ennemie avant d’atteindre son objectif, il doit procéder à l’attaque plus rapidement que prévu. « Craignant que mon expédition fût manquée, j’ordonnai au détachement sous mes ordres de prendre le pas de course pour ne pas laisser à l’ennemi le temps de se rallier, et malgré la forte journée que nous venions de faire par le plus mauvais temps, les chasseurs et grenadiers à pied composant mon détachement sont arrivés sur l’ennemi au moment où il se formait en bataille; je reconnus moi-même la position que je jugeai nous être favorable, le village de Châtenay étant situé au milieu de ravins difficiles à franchir. Je fis aussitôt mes dispositions pour attaquer de vive force; 25 chasseurs à pied, commandés par le lieutenant en premier Laborde devait attaquer le village par la droite; 25 grenadiers commandés par le lieutenant en premier Lebeau, attaquer de front; un autre détachement, commandé par M. Foucher, sous-adjudant-major, attaquer la partie du village par laquelle je présumais que l’ennemi devait se retirer. L’opération a réussi; toute l’infanterie ennemie a été détruite à la baïonnette, sauf le commandant, deux autres officiers et 25 prisonniers. Des 30 chevau-légers de Rosenberg, 15 ont été tués, dont le major. Nous avons pris 15 chevaux[2]. »

L’on avait défendu de parler et recommandé de faire le moins de bruit possible; nous marchions la baïonnette au bout du fusil, pour qu’elle ne fasse pas de bruit contre la monture du sabre, et puis pour être en garde afin de nous en servir contre l’ennemi, ce qui ne tarderait pas.
Nous arrivâmes à 1 heure du matin devant les sentinelles qui nous saluèrent par quelques coups de fusil, auxquels nous ne répondîmes pas; celles-ci partirent pour le village prévenir de notre approche; ce village était gardé par 800 cavaliers hongrois.
À notre tour nous prîmes le pas de course vers le village, car il ne fallait pas laisser aux sentinelles le temps de prévenir leurs camarades; nous tombâmes à l’improviste sur les malheureux Hongrois et ce fut un massacre terrible, car eux nous croyaient loin.
Dans de telles circonstances, chacun fait la guerre pour soi : il se défend et tue à volonté, à l’exception du commandant et du peloton de réserve, qui ne se débande pas, car il doit servir de point de ralliement à la troupe. En entrant dans le village, j’avais près de moi presque tous mes hommes; nous poursuivions les cavaliers qui avaient beaucoup de mal à se défendre n’ayant aucune infanterie avec eux. En poursuivant les Hongrois, nous entrâmes dans une maison où nous trouvâmes deux hommes : l’un se jette sur son sabre, qui était accroché au mur et veut nous transpercer, heureusement un coup de fusil d’un grenadier nous débarrassa de son importunité en le couchant sur le flanc; l’autre était couché près d’un bon feu, il faisait très froid, il était dans un état d’ivresse effroyable, un gros cruchon de vin était encore à côté de lui; mais malgré son état, il avait encore eu assez de jugement pour nous reconnaître et nous dire : « Sch…! Sch…! Franzose!” Ce qui veut dire: « M…! Français! » Il est facile à concevoir que ce brave homme ne pouvait pas partir pour le paradis avec des paroles aussi peu parlementaires, surtout adressées à des hommes qui n’avaient pas le sentiment de conciliation trop prononcé ce jour-là! Un des grenadiers empoigna mon particulier par le cou, un autre par les jambes, et le placèrent le plus délicatement possible et avec toutes les précautions imaginables en travers du feu, tandis qu’un troisième le tenait en respect avec la crosse de son fusil. À l’instant même il était en flamme et se débattait en se roulant au milieu de la chambre, poussant des hurlements d’ours affamé. Je dis qu’on ne le fasse pas souffrir davantage, un grenadier lui poussa sa baïonnette dans la poitrine.
Cette expédition de dura pas longtemps; le plus grand nombre de nos ennemis étaient parvenus à fuir; nous avions néanmoins fait cent cinquante prisonniers et pris plusieurs chevaux, nous avions tué trois à quatre cents hommes[3]. »
De l’importance de se bien garder!
Notes
[1] Cité par de Behaine, IV, p. 126.
[2] Cité par de Behaine, IV, p. 123.
[3] Scheltens, Souvenirs d'un Grenadier de la Garde, p.108-110.