Anecdotes et variantes

La bataille de Vauchamps mit fin temporairement à la campagne de France du capitaine de Lauthonnye, 2e régiment d’Artillerie de Marine. Blessé à un bras, il rentrera à Paris et reprendra du service sur la butte de Montmartre le 30 mars. Il a laissé un récit de son passage à l’ambulance : « je fus rejoindre la grande ambulance où je trouvai mon canonnier avec mon cheval. Celui qui n’a pas vu une grande ambulance ne peut s’en faire une idée qu’en pensant à un bûcheron qui a fendu du bois toute la journée, sans l’avoir monté en corde. L’ambulance du brave Larrey me fit cet effet, les jambes et les bras coupés étaient jetés au hasard, l’habile chirurgien en était entouré.

J’attendis quelques moments que mon tour arrivât, enfin je fus placé sur une chaise. Larrey coupa mon habit et arriva à ma blessure. Le passage de la balle n’ayant été fait qu’après avoir ricoché, la blessure était affreuse. Larrey après avoir dilaté la plaie, introduisit son doigt dedans et me fit éprouver des douleurs atroces. Je ne pus m’empêcher de lui dire : « Vous me faites mal ». Mais en patois Limousin, Larrey en continuant son travail me demanda de quel pays j’étais. « Du Bas-Limousin, lui répondis-je, près d’Uzerche. – connaissez-vous Boyet ? – Très particulièrement encore. » J’en aurais fait mon parent, si peu que Larrey m’eût poussé. « C’est un de mes grands amis, me dit-il. » Il me fut facile de m’apercevoir qu’il me portait beaucoup plus de soin qu’à d’autres blessés que j’avais vu panser. Larrey, après avoir sondé mes os avec une aiguille où il y avait une tête grosse comme un petit pois ; à tous les petits coups qu’il me donnait, j’étais sur le point de me trouver mal. « Votre blessure est grave, me dit-il. Mais ne vous laissez pas couper le bras, la guérison sera longue, mais vous pourrez vous en servir. » Mon canonnier me mit sur mon cheval et nous nous dirigeâmes sur Montmirail. [1] »


Larrey opérant sur le champ de bataille, par Charles-Louis Müller, Paris, Académie nationale de Médecine.
Le Baron Larrey a posé les fondements de la médecine militaire moderne en prenant en charge les blessés le plus près possible de la ligne de feu. Prometteur d’une « chirurgie de l’avant », il crée les ambulances volantes et développe des techniques et outils permettant de prendre en charge le blessé le plus rapidement possible et ainsi augmenter les chances de survie.





Marmont, toujours mauvaise langue, trouve le moyen d’écorcher Ney et Grouchy à la suite de la bataille de Vauchamps :

« Je me décidai donc à marcher sur Étoges, à y faire une attaque de nuit, afin d’y entrer par surprise. Des tentatives semblables, après un premier succès, devraient être faites plus souvent à la guerre ; elles réussiraient presque toujours.
Mais, mes troupes ayant combattu seules pendant toute la journée, tous mes soldats avaient été engagés ; je n’avais pas trois cents hommes ensemble. Je demandai au maréchal Ney de me prêter un de ses régiments de la division d’Espagne, commandée par le général Leval, qui me suivait. Il me le refusa.
Sentant l’urgence des circonstances, je donnai l’ordre direct à un régiment de cette division, de huit ou neuf cents hommes, de me suivre. [2]»

La nuit venue, depuis Étoges, Marmont fera rapport à l’Empereur : « Je me suis emparé des premières troupes d’infanterie que j'ai eues sous la main, pour pousser une colonne dans cette direction. Mais cette disposition utile a été un moment suspendue par les obstacles qu'y a mis le prince de la Moskowa, qui, sans titre légitime, puisqu'il était sans commandement et sans raison, a empêché les troupes de marcher. Ayant pu réunir quelques troupes du sixième corps, j'ai cherché à réparer le temps perdu, en hâtant leur marche. [3]»

On peut donc en déduire que Ney était toujours sans commandement à Vauchamps, ce que Girod de l’Ain tant à démontrer indirectement puisque la Jeune Garde n’est pas montée au feu. Le bulletin indiquera bien que « Le prince de Neufchâtel, le grand maréchal du palais comte Bertrand, le duc de Dantzick et le prince de la Moskowa ont constamment été à la tête des troupes », sans préciser lesquelles. Par ailleurs, les troupes de Leval n’ont pas fait partie du hourra d’Étoges, contrairement au texte des mémoires de Marmont. En effet, j’estime le rapport du jour plus crédible que les mémoires rédigées en 1828-1830.

« Ma maison, toujours bien fournie, était dans l’occasion la ressource de tout le monde. Le général Grouchy, dont la cavalerie était restée à Champaubert, vint, de sa personne, me demander à souper, ce qui était fort bien fait. J’avais sur ma table l’épée du prince Ourousoff. Le général Grouchy me pria de lui en faire cadeau pour remplacer son sabre, qui le gênait, me dit-il, par suite d’une ancienne blessure. Je n’attachais pas beaucoup de prix à cette dépouille opime, et je la lui abandonnai sans y mettre la plus légère importance ; mais quel fut mon étonnement quand je lus peu de jours après, dans le Moniteur, un article ainsi conçu : « MN. Carbonel, aide de camp du général Grouchy, est arrivé à Paris, et a remis, de la part de son général, à Sa Majesté l’Impératrice l’épée du prince Ourousoff, qu’il a fait prisonnier à la bataille de Vauchamps. Un fait pareil ne suffit-il pas pour peindre un homme ? [4]»




A la publication des mémoires de Marmont, le général de division marquis de Grouchy, fils du futur maréchal Grouchy, fit publier dans le Moniteur du 4 avril 1857 le texte suivant :

« depuis la date de la bataille de Vauchamps, 14 février, jusqu’au 1er avril 1814, le journal ne contient point le fait inventé si insidieusement; il mentionne seulement la remise par le ministre de la guerre, à S.M. l’Impératrice, des drapeaux pris aux batailles de Montmirail et Vauchamps. (Moniteur du 27 février 1814.)

Voici la déclaration du général Carbonel, qui n’était plus aide de camp de mon père depuis 1812 : « Mon cher général, je n’ai pas encore lu les Mémoires du duc de Raguse, mais si mon nom est cité dans le VIe volume de cette publication, comme ayant été chargé par votre père de porter à l’Impératrice l’épée du général russe Ouroussoff, fait prisonnier à Étoge [sic], vous pouvez, mon cher général, démentir avec assurance une semblable assertion; car, après avoir été assez heureux pour faire, à si bonne école, et sous le patronage d’un aussi remarquable chef, les campagnes de 1807, 1808, 1809 et 1812, en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Pologne et en Russie, j’ai été nommé, en 1813, aide de camp de M. le général comte de Narbonne, mort à Torgau, et, après son décès, j’ai été appelé, à la fin de cette campagne, à remplir les mêmes fonctions près du général comte de Flahaut.
Rececez, etc.
Général Carbonel, Pau, le 20 mars 1857 [5]»


Notes

[1] De Lauthonnye, p. 120.
[2] Marmont, VI, p. 59.
[3] Marmont, VI, p.190.
[4] Marmont, VI, p. 61.
[5] Du Casse, Pierre Emmanuel Albert, Le maréchal Marmont, duc de Raguse, devant l'histoire, examen critique et réfutation de ses « Mémoires », Paris, E. Dentu, 1857. p.178-179.